Michel Dubois

Témoigner du zen comme d’une voie du cœur

J’ai le souvenir d’un de mes premiers entretiens formels avec le maître zen Taizan Maezumi. Assis en lotus, il se penchait vers moi, en s’appuyant sur le petit bâton qu’il portait à la main aussi bien dans la salle de méditation que lors des entretiens. Sa voix était à peine audible – si basse que je dus m’approcher à quelques centimètres pour l’entendre. Je découvris alors qu’il me parlait en Japonais… Il semblait réciter un long texte.

Il émanait de ce murmure quelque chose d’intemporel, d’insaisissable, de sacré – l’intime

J’aurais voulu en saisir les paroles.

Mon enseignant, Genpō sensei, me dit plus tard que Taizan Maezumi, qui était son propre maître, m’avait probablement récité un texte fondamental de la tradition du zen, le Genjōkōan, un chapitre du Shōbōgenzō, « Le Trésor de l’œil du vrai dharma », un ouvrage composé au XIIIe siècle par le maître zen Dōgen. Le mot kōan, désigne littéralement « un arrêt faisant jurisprudence ». Il s’agit, le plus souvent, d’un échange entre moines, généralement un maître et son disciple, qui transcende toute logique, afin de provoquer l’éveil de ce dernier. Genjōkōan est souvent traduit par « actualiser le point essentiel » ou « mettre en œuvre l’éveil ». La récitation dura dix minutes, puis Maezumi rōshi me dit « Vous devez écrire le Shōbōgenzō français, l’écrire avec votre propre vie. Votre propre vie est la vie du Shōbōgenzō. »

J’étais complètement décontenancé. Le Shōbōgenzō me paraissait alors un texte totalement hermétique – presque illisible.

Le dernier jour de la retraite, un participant demanda :

– « Maître, pendant que nous faisons zazen (la méditation assise), la guerre se poursuit au Salvador, la répression, les escadrons de la mort, des fermiers sont tués… Que devons nous faire ? »
– « Take care of yourself », répondit maître Maezumi. « Prenez soin de vous. »

Sa réponse semblait déconcertante. J’étais tout à fait incapable d’en saisir la subtilité. Pourtant le maître répondait exactement à la demande de son interlocuteur : « Prenez soin de la situation comme de votre propre corps. Vous êtes la révolte, la répression et la souffrance. Les soldats, les escadrons de la mort, les paysans sont votre propre corps… »

Le don de Taizan Maezumi était de nous répondre avec un kōan, le kōan de notre propre vie, de nous inviter à devenir qui nous sommes, à prendre soin de notre vie, sans laisser le moindre interstice entre nous et nous-même.

J’ai pris part en 1996 à une retraite interreligieuse, « Porter Témoignage à Auschwitz-Birkenau ». Et j’ai rejoint les Zen Peacemakers, l’association fondée par Bernie Glassman, le premier successeur de Maître Maezumi. L’année suivante, j’ai participé à une retraite de rue à Cologne et une autre à Düsseldorf. Nous faisions zazen dans des jardins publics et nous avons, quatre jours durant, vécu sans un sou, dormi dans la rue et mendié. Un jour à Düsseldorf, nous avons été reçu par une association dans une maison, où on nous a servi, avec douceur, un magnifique repas. Peu après, j’ai décidé de m’engager auprès des plus démunis. En 2003, j’ai cofondé l’association L’Un est l’autre, pour servir des repas de qualité aux personnes en situation de précarité. Je me suis mis à préparer cent ou cent cinquante repas, que nous servions à Paris, rue de Flandre, le dimanche soir, puis dans un Centre des Restaurants du Cœur. Nous sommes rapidement passé à près de quatre cents repas préparés, les premiers temps, dans la cuisine, puis dans le jardin du centre zen Dana à Montreuil. L’Un est l’autre sert aujourd’hui cent mille repas par an.

En 2011, Nous avons fondé Zen – Voie du Cœur dans le but d’unir davantage méditation et action. La question est de savoir comment un pratiquant laïc peut-il vivre pleinement son engagement, sans dissocier la méditation de la pratique de son travail, de sa relation maritale, de sa famille, de ses autres relations et du reste de son existence. Comment vivre une vie sans interstice, sans fossé, entre soi et soi-même ? Comment vivre pleinement une pratique laïque qui hérite et s’inspire de l’expérience monastique, sans en être nécessairement une fade copie.

Zen – Voie du Cœur est une petite association de pratiquants laïcs, qui s’engagent à prendre soin du monde comme de leur propre corps. Elle est particulièrement tournée vers les zones d’ombre de la société, ceux qui tombent dans les interstices – les fêlures – de l’ordre social : les SDF, les réfugiés, les personnes détenues, les personnes en souffrance psychique.

Notre travail se fonde entièrement sur une pratique assidue de la méditation et sur l’étude et l’approfondissement des seize préceptes du zen, que nous regardons comme les kōans de notre vie quotidienne. Nous organisons également des Cercles de parole et d’écoute qui permettent de communiquer et d’écouter du fond du cœur. Nous encourageons les participants à avoir une pratique de bénévolat, ou de s’engager dans un travail pour la paix. Je suis moi-même devenu aumônier de prison.

En 2011, nous avons cofondé S’Éveiller, un collectif de bouddhistes engagés, avec Catherine Éveillard-Elsky, enseignante dans la tradition Shambhala, Emmanuel Ollivier, travailleur social et directeur d’association, Franck Le Naourèse de Shambhala, Éric Rommeluère, enseignant bouddhiste dans la tradition du zen et fondateur d’Un Zen Occidental.

Nous organisons des retraites zen au cours desquelles nous servons des repas festifs dans des centres d’hébergement de l’Armée du Salut. Nous organisons également des sessions afin de former des facilitateurs pour les cercles de parole et d’écoute.

Michel Dubois

Auteur de l’article : Jiun

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