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Colloque 2013 sur la Justice restaurative

Éric Rommeluère présente un compte rendu du colloque sur La Justice Restaurative organisé par la Fédération Protestante de France le 24 janvier 2013 au Sénat. Vous pouvez visionner ci-dessus l’entretien filmé d’Howard Zehr retransmis dans le cadre de ce colloque (21 mn). Pour activer les sous-titres français, il suffit de cliquer sur l’icône Paramètres > Sous-titres dans la barre de lecture de la vidéo.


La prison est un monde clos dont la réalité échappe à la plupart d’entre nous. Les médias se font néanmoins régulièrement l’écho de l’augmentation globalement incessante du nombre de personnes écrouées depuis le début des années 2000 et des conditions de vie préoccupante des détenus. Depuis sa nomination en mai 2012 comme Garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira s’est attachée à la douloureuse question de la surpopulation carcérale. En septembre 2012, elle confiait à un «jury» le soin d’organiser une Conférence de consensus dans le but d’évaluer et de proposer de nouvelles mesures en matière de prévention de la récidive. Fort de travaux qui se sont terminés par des auditions publiques largement médiatisés, ce jury a rendu son rapport au Premier ministre le 20 février 2013. Le constat est sans appel : en matière de récidive, la peine privative de liberté ne joue nullement l’effet de dissuasion qu’on lui prêterait. Dans leurs recommandations fortes et novatrices, ses auteurs rompent donc avec les politiques répressives classiques. La toute première de leurs propositions est de considérer que «la peine de prison doit être une peine parmi d’autres.» Ils recommandent ainsi la mise en place d’une nouvelle peine dite de probation qui n’existe pas actuellement dans l’arsenal judiciaire français. Le propos est résolument audacieux : en posant et repensant le sens de la peine, les auteurs de ce rapport dessinent le profil des possibles mutations à venir de la justice en France.



Parmi ses autres recommandations, le rapport préconise «d’explorer les pistes ouvertes par la justice réparatrice.» Le concept de justice réparatrice ne fait pas l’objet d’explications dans le corps même du rapport. Les lecteurs sont renvoyés aux contributions, plus particulièrement celle du criminologue Robert Cario auditionné par le jury. Largement découverte à l’occasion de cette conférence, la justice que l’on qualifie tantôt de réparatrice tantôt de restaurative a été abordée par plusieurs articles de presse. La présentation qui en est faite se résume souvent à son aspect le plus visible, la rencontre entre auteurs et victimes d’infraction, puisque l’un de ses outils principaux est d’engager les auteurs et les victimes dans un processus de parole partagée et ce, a priori, quel que soit le délit ou le crime commis.


Sur le site du journal Libération, lire «Entre victimes et délinquants, la parole est-elle possible ?», un article du 12 février 2012.


La justice restaurative (restorative justice en anglais) n’est pourtant pas réductible à une forme de médiation psycho-sociale, elle se définit comme une autre approche de la justice qui prend en compte le ressenti des parties en présence par-delà l’infraction et la punition requise. L’une de ses caractéristiques est de faire également intervenir la communauté dans le processus de réparation du lien social (l’infraction est en effet comprise comme une fracture du lien social).

La justice restaurative est née des travaux d’Howard Zehr, un pasteur protestant américain (mennonite) professeur d’université, aujourd’hui âgé de soixante-sept ans. Elle fait l’objet d’applications pratiques dans plusieurs pays, dans le cadre du système judiciaire canadien notamment. Peu ou pas connue en France, cette approche est soutenue par le Service Justice et aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France qui relaye depuis quelques années les travaux d’Howard Zehr. Il a récemment encouragé la publication de l’un de ses ouvrages sous le titre français La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive.



Précédant de quelques jours les débats publics de la Conférence de consensus, le colloque sur la justice restaurative organisée au Sénat le 24 janvier 2013 par la Fédération Protestante de France, était l’occasion d’explorer la signification et les enjeux de cette autre justice. Les cercles protestants préfèrent utiliser le néologisme de justice restaurative plutôt que l’expression attendue de justice réparatrice pour traduire l’anglais restorative justice. La restauration est ici comprise au sens premier de guérison. La justice restaurative se soucie en effet en premier de la souffrance et la détresse morale, physique et psychologique des victimes mais aussi celles des auteurs d’infraction ainsi que de trouver les moyens d’intégrer ou de dépasser cette souffrance. Elle se fonde sur les besoins et non sur les sanctions comme dans la justice pénale classique.

Le colloque débutait par l’intervention du théologien et éthicien suisse Denis Müller qui se livrait à une analyse fine des travaux d’Howard Zehr jusque dans ses ambiguïtés. Son exposé, pas toujours facile d’accès, appréhendait le cœur de son projet : la justice restaurative n’est pas un simple outil de médiation, elle ne vise ni au pardon ni à la réconciliation des victimes et des auteurs d’infraction, elle porte en elle une autre vision de l’homme et de son inscription dans une communauté. Denis Müller distinguait plus particulièrement trois aspects dans cette approche : une attention particulière aux auteurs d’infraction ; l’importance de la communauté comme structure englobante des relations humaines (elle doit être aussi partie prenante du processus de réparation), une conception anthropologique de l’être humain fondée sur une promesse : l’homme peut non seulement s’amender mais se transformer. Les fondements religieux de la justice réparatrice dont Howard Zehr ne fait pas mystère transparaissent plus particulièrement dans ce troisième aspect.

Le colloque se terminait par la diffusion d’un enregistrement vidéo de questions-réponses entre Howard Zehr et le Service Justice et aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France. Il concluait en affirmant que la justice restaurative était bien un projet sociétal par-delà ses applications concrètes dans le cadre des relations entre victimes et auteurs d’infraction. Trois valeurs cardinales fondent ce projet : le respect, la responsabilité (nos actes ont une portée et nous engagent) et la solidarité (nous sommes co-dépendants les uns des autres).

Que les interventions de Denis Müller et d’Howard Zehr, tous deux pasteurs, ouvre et clôture les débats n’avaient rien d’un hasard. Ce colloque se tenait cependant au Sénat, lieu symbolique par excellence. La Fédération Protestante de France voulait ainsi engager une réflexion novatrice par-delà le cercle des Églises et contribuer au développement d’une autre vision de la justice en France. La reprise des outils de la justice restaurative et la possible dépossession de ses fondements religieux était même dite et pour ainsi dire assumée. De fait, se succédèrent à la tribune des hommes politiques, des acteurs de la société civile, mais également des représentants de la magistrature et de l’administration pénale convaincus qu’une autre vision de la peine était nécessaire, tous soucieux de promouvoir, de soutenir ou tout simplement de comprendre la justice restaurative. Jamais dogmatiques ni affectés, ouverts et tolérants, les interventions des pasteurs et des membres de la Fédération Protestante de France démontraient que des hommes et de femmes de spiritualité peuvent aussi contribuer aux débats sociétaux dans une grande justesse de ton.

La matinée fut consacrée à des aspects théoriques avec des interventions du philosophe Jean-Marc Ferry, auteur d’un petit livre L’éthique reconstructive, et du criminologue Robert Cario. L’après-midi fut, lui, consacré aux aspects pratiques, mais également aux difficultés de la mise en œuvre de ces outils dans le contexte français. L’exemple belge montre pourtant que la mise en présence et le suivi des rencontres entre victimes et auteurs d’infraction a de multiples répercussions positives sur les parties en présence. La médiation est inscrite dans la loi belge depuis 2005 à tous les stades de la procédure et quelle que soit l’infraction commise. Antonio Buonatesta, directeur de l’association Médiante, agréée par le Ministère de la justice belge, présenta les résultats de ce travail accompli sur huit ans : sur environ quatre mille rencontres acceptées par les parties (dont dix pour cent concernaient des affaires de meurtres et dix pour cent des affaires d’abus sexuel), mille sept cent avaient abouti à des accords écrits et mille sept cent à des échanges considérés comme utiles par les parties.



Enfin François Goetz, directeur de la Maison centrale de Poissy, présenta avec Sabrina Bellucci, directrice de l’Institut National d’Aide aux Victimes et de médiation (INAVEM), la seule expérience de rencontre détenus-victimes menée à ce jour en France (en 2010 à Poissy). Leurs interventions furent suivies par la projection du film de la journaliste Frédérique Bedos. Dans ce film, François Goetz explique : « L’auteur va avoir accès à la souffrance de la victime et, dans un effet de miroir, il va se reconnaître dans cette souffrance. Sa propre souffrance qui remonte va lui permettre un cheminement. C’est quelque chose d’assez mécanique finalement. La victime, elle, va comprendre que l’auteur a des souffrances identiques, elle va comprendre que l’auteur ne se réduit pas à son acte, qu’il y a un être humain derrière qui a souffert.» [Transcription adaptée pour les besoins de l’écrit]. Un film inspiré et inspirant. Tout comme ce colloque.



Un texte d’Éric Rommeluère initialement publié en février 2013 sur le blog J’ai deux kôans à vous dire. Vidéo : Howard Zehr, sous-titres français Soli Deo TV.

Auteur de l’article : Jiun

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