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Vie de moine en prison

Un texte de Fleet Maull sur son expérience et son travail en prison. Vous pouvez visionner ci-dessus Finding Humanity, une vidéo sur le travail de Fleet Maul en prison (3 mn 33). Pour activer les sous-titres anglais, il suffit de cliquer sur l’icône Paramètres > Sous-titres dans la barre de lecture de la vidéo.


Il y a quelques années de cela, lors d’une conférence donnée par Bill Bothwell (un enseignant du Centre Shambhala de Los Angeles), un prisonnier remarqua que nous pourrions voir notre situation en prison comme une forme d’expérience monastique. Cette comparaison est fréquente et j’ai tendance à voir ainsi ma propre expérience en prison. J’ai donc été plutôt surpris quand Bill répondit : « C’est une belle idée – elle peut nous aider. Mais elle peut tout simplement n’être qu’une pensée de plus, un concept destiné à voiler la réalité telle qu’elle est. » Le commentaire de Bill venait d’un esprit frais qui n’avait nul besoin de rendre la situation romantique, et il « stoppa » mon esprit sur le champ.

Il peut être utile par moments de considérer la prison comme un monastère, tout particulièrement parce que cela nous aide à la considérer comme une situation de pratique totale, et comme une expérience potentiellement bénéfique. […]

Ceci dit, la prison n’a rien d’un monastère, ni de tout autre environnement conçu pour la pratique du dharma. C’est une vue fantaisiste. Le bruit et le chaos sont ses qualités les plus envahissantes, arrivent ensuite la colère et l’hostilité, et pour finir, il y a l’ennui mêlé d’anxiété et l’attitude qui consiste à rechercher la distraction, pour « tuer le temps ». Il y a aussi un sentiment d’absence d’espoir qui jette un voile mortuaire sur la population carcérale, tout particulièrement durant les longs mois d’hiver, lorsque les cours de récréation ferment de bonne heure, et qu’il y a moins de choses à faire. […]

Le bruit et le manque d’espace privé sont les plus grands obstacles à la pratique formelle de la méditation en prison. De 7 h à 11 h du matin, les espaces de vie surpeuplés de la prison baignent dans un vacarme constant. Même les moments plus calmes sont couverts par le son de la musique soft rock qui se déverse des hauts parleurs de la sono générale. Durant les soirées, les unités résidentielles prennent l’atmosphère d’un night-club, avec un peu partout des parties bruyantes de cartes et de dominos. Les halls sont pareils à des rues animées en plein samedi soir – tout le monde y traîne, hurlant et se bousculant. Il est très difficile de trouver un endroit dans tout ce chaos pour y pratiquer. Dans les grands dortoirs, on peut s’asseoir sur sa couchette dans l’obscurité, tard dans la nuit, ou tôt le matin. Mais durant la journée, ou en début de soirée, il faut être capable de supporter tout à la fois le bruit et le fait que tout le monde vous regarde.

Afin de pratiquer durant ces heures-là, j’avais l’habitude de vider l’un des placards sanitaires où l’on entrepose balais, serpillières et poubelles. Je sortais tout cela, j’installais une chaise et je pratiquais une heure ou deux espérant ne pas être dérangé. Le niveau de bruit était à peu près le même, mais le placard constituait au moins un espace défini dans lequel je pouvais pratiquer avec un peu moins de distraction. Les portes de ces placards ayant une petite vitre, les gens y jetaient un œil ; d’autres, ne voyant pas que j’avais tout sorti, se ruaient à l’intérieur pour y prendre une serpillière, se confrontant au choc de m’y trouver assis. Pendant l’été, ma cellule de méditation-placard à poubelles avait tout d’un sauna. Je pratiquais l’assise avec la sueur me coulant sur le visage, dans les yeux, partout. Quand j’y repense, il est incroyable que j’ai tenu bon. […]

Bien qu’il soit difficile de faire de la pratique formelle en prison, l’environnement peut s’avérer idéal pour une discipline continue de l’attention : la prison est un endroit sans la moindre échappatoire et d’une telle intensité, que si l’on a quelque expérience de la pratique de la pleine conscience, elle nous présente le reflet constant de notre propre état d’esprit, instant après instant.

Plutôt que le monastère, c’est le charnier du bouddhisme indien et tibétain qui constitue la meilleure métaphore de la pratique en prison. Un charnier est un cimetière où les cadavres des personnes décédées sont abandonnés à l’air libre, pour y être dévorés par les animaux charognards. Dès l’antiquité, « ces lieux hantés par les chacals, les vautours et les démons » ont été considérés par les yogis comme des endroits idéaux pour la pratique. Ils y construisaient des huttes, et se constituaient des coussins de méditation avec des piles d’os afin de méditer sur l’impermanence et de surmonter leurs peurs les plus profondes. Au fil des ans, le charnier est devenu une métaphore pour toute situation extrême de pratique, riche en obstacles. On dit que si l’on est capable de pratiquer dans des circonstances aussi difficiles, le potentiel de réalisation s’y démultiplie.

Auteur de l’article : Jiun

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